L’ombre rose – Chapitre XII

L’ombre rose – Chapitre XII

« AUTRUCHE TIME »
- Pff, ce chat… tu parles d’un guide, grommela Alkan. Il nous faut des ânes.
- Des ânes, pourquoi ? Demanda Ciana l’ombre inquiète.
- Si l’île de Naby est à trois jours d’ici, loin de toutes habitations, il nous faut des réserves de nourritures, d’eau, et une tente, s’il pleut et qu’il n’y a pas d’abri… Son ombre trembla rien qu’à l’idée de leurs deux invisibilités souillées.
- Mais il doit y avoir une autre solution…
Alkan ne l’écoutait déjà plus, il marchait devant. Ils s’arrêtèrent dans une auberge pour demander des ânes et l’aubergiste leur rit au nez :
- Si vous voulez qu’un âne vous rende un service, voyez ça avec lui ! On ne prostitue pas les animaux ici ! Ils ne sont à personne et ils se débrouillent très bien comme ça. Mais je peux vous fournir le reste du matériel pour votre balade.
Ciana rassembla donc ce qu’il leur fallait avec l’aide de l’aubergiste et Alkan revient, quelques minutes plus tard, accompagné d’un couple d’ânes.
À la vue des deux quadrupèdes, Ciana enfouit l’ombre tremblante de ces deux mains dans la masse ombreuse de son corps afin qu’Alkan ne le remarque pas : elle avait une peur bleue des ânes.
- Moi ça va, je peux marcher, dit-elle la gorge sèche.
- Ben voyons… Railla Alkan.
- Allez monte, dit l’âne en s’approchant. Ciana se colla contre le mur derrière elle, elle respira profondément, elle pouvait, elle devait, vaincre sa peur. Hors de question qu’elle perde la face devant Alkan. L’âne s’approcha encore. Elle ferma les yeux, avala sa salive, mais au moment où sa main effleura le pelage de l’âne elle ne put réprimer un cri. L’âne se cabra et s’éloigna un peu.
- ça va !?
Elle baissa la tête et ne répondit rien. Alkan inquiet s’approcha.
- J… j’ai peur des ânes, gémit-elle.
- Tu as peur des ânes… Je rêve !
- C’est pas drôle !

****

Loin de là, une tendre berceuse montait dans l’air, elle vibrait dans les souterrains puis se glissait le long des feuilles dorées d’un beau palmier. Sous terre, dans une visqueuse pénombre, la maigre femme chantonnait, penchée au-dessus d’un bac en bois. Autour d’elle, dans la pièce, tout était calme. Les cages jadis remplies d’animaux paniqués avaient disparu, seuls les bocaux et les livres muets reposaient sur les étagères. L’ombre chétive de la femme était pastel, elle semblait entièrement satisfaite. Toute son attention était portée à ce vilain landau de bois usé et grinçant, et si quelqu’un s’était penché sur le bac, il aurait pu y voir plus d’une centaine de petits œufs verdâtres, gluants, des œufs de la taille de ceux d’une caille ; il aurait pu sentir l’odeur acre qui s’en dégageait et observer les parois si fines et souples qu’elles ondulaient sous la pression des petites choses vivantes remuantes à l’intérieur. Voilà ce qu’aurait pu voir la personne qui se serait avancée au-dessus de cet étrange berceau.

****

Ciana, Alkan et le chat noir marchaient depuis près d’une heure lorsqu’ils virent le bosquet de petits arbres à eau dont leur avait parlé l’aubergiste. Le chat les accompagnait, mais se tenait toujours à une bonne distance d’eux, tantôt dans un arbre tantôt sur un rocher… Une fois qu’ils eurent dépassé le bosquet, ils virent le lac d’eau salée et aussi le troupeau des grandes autruches colorées. C’était magnifique.
- On va vraiment monter ça ? Elles sont hyper grandes ! souffla Ciana.
- C’est ça ou les ânes…
Ils descendirent un peu plus dans les gorges pour s’approcher des autruches, mais celles-ci s’éloignaient à mesure qu’ils avançaient.
- Vous faites ça très maladroitement…, dit le chat.
- Si tu as une meilleure manière, on t’écoute.
- Je suis votre guide, pas votre agent, répondit l’animal en allant tranquillement s’allonger à l’ombre d’un arbre.
Plus nos deux héros s’avançaient, plus les autruches s’éloignaient en leur jetant quelques regards de dédain.
- Ho, regarde ces trois-là comme elles sont belles ! s’exclama Ciana en désignant trois autruches particulièrement colorées qui étaient allongées près de l’eau, à ces mots les trois grands oiseaux levèrent la tête. Elles étaient toutes les trois d’une couleur intense, une rose, une jaune et une violette. Ciana leur fit un signe. Les autruches ne bronchèrent pas. Elle s’avança et les autruches ne bougèrent toujours pas. La jeune femme était maintenant presque à leur niveau, ces autruches étaient vraiment géantes.
- Bonjour, balbutia-t-elle. Les autruches ne répondaient pas. Vous avez de très belles couleurs, poursuivit Ciana.
- ha vraiment ? Tu trouves ? C’est vrai qu’on nous le dit parfois…
- Oui, parfois, renchérit la deuxième.
- Cette humaine a du goût, c’est rare…, dit la troisième. Que pouvons-nous faire pour toi, ma chérie ?
Ciana raconta son histoire, le voyage. Les autruches étaient désormais collées à elle, passionnées par ses aventures. Elles riaient, s’étonnaient, s’exclamaient et Ciana finit par en venir au fait : sa peur des ânes, le voyage pour rencontrer le sage…
- Quelle idée de voyager à dos d’âne !
- Oui, ils sont tout petits.
- Et gros !
- Ils sont lents.
- Et puis pas très beau…
- En plus, il paraît que la plupart ont d’horribles flatulences… ajouta tout bas, une des trois autruches.
- Non ?

Alkan observait la scène de loin.
- Pas mal joué, hein ? lui dit le chat en arrivant lentement, les autruches sont très sensibles à la flatterie. Surtout les femelles. De toute manière, on ne monte pas les mâles. Ils ont mauvais caractère… En même temps quand on connaît les femelles, on comprend… ajouta-t-il en se dirigeant vers elles. Alkan s’approcha à son tour.
- Qu’est-ce donc que ça ? Un homme ou un cochon ? Ricana la première autruche.
- C’est Alkan, dit timidement Ciana.
- C’est lui !
- Ha oui… c’est vrai que c’est assez…
- inhabituel
- ça…
- Alkan, je te présente Odette, Ilda et Gasparine.
Les trois autruches se groupaient autour de lui, elles n’avaient plus du tout l’air farouche :
- Quel rose ! Il n’est pas aussi beau que celui de mes plumes, mais quand même…
- Ho, c’est incomparable.
- Oui, mais, cette ombre rose le rend un peu moins moche que tous ces vilains mâles…
- c’est sûr que leur ombre grise fait peine à voir, grise….
- Il n’y a rien de pire
- Ce n’est même pas une couleur !